Entretien avec Bernard Favre, sur la temporalité des expositions de Cap sciences
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- Nicolas Blémus : Il n’y a pas d’exposition permanente à Cap sciences, alors que d’autres lieux de culture scientifique, technique et industrielle, dans d’autres villes, en possèdent. Pourquoi ?
- Bernard Favre : En réalité il y a deux raisons pour lesquelles il n’y a pas d’exposition permanente à Cap sciences. Une raison structurelle, qui est que Cap sciences ne s’est pas fondé sur des collections, donc il n’y avait pas cette nécessité-là de valoriser auprès des publics des collections existantes au préalable. Et deuxièmement c’est un choix de programmation consistant à dire que Cap sciences est une boîte vide comme un théâtre, comme un cinéma ou comme une salle de concert à l’intérieur de laquelle on définit chaque année une programmation qui permet aux publics de venir, de revenir, et d’à chaque fois découvrir quelque chose de nouveau, des expositions différentes, sur des thématiques, avec des approches différentes, qui collent aussi à l’actualité.
- NB : Mais à la Cité des sciences et de l’industrie, au Palais de la découverte ou au Vaisseau (à Strasbourg) il n’y a pas de collections, et par ailleurs eux aussi souhaitent coller à l’actualité. Cela ne les empêche pas d’avoir des expositions permanentes…
- Bernard Favre : Oui, l’idée de pouvoir changer d’exposition à n’importe quel moment est un parti pris qui repose sur la volonté de ne pas donner l’image d’un lieu où l’on peut retrouver deux fois la même chose. Mais cela ne s’oppose pas au fait qu’il y a des lieux, à Cap sciences, où l’on peut trouver des formes de permanence. J’en vois trois : Il y a la Galerie industrie et recherche qui présente, de façon permanente, le paysage industrielle et le paysage scientifique de la région, même si le thème change chaque année pour proposer un zoom particulier sur un thème particulier ; ensuite il y a Cap sciences juniors et les activités dédiés aux jeunes, comme l’Atelier d’Arthur ; et enfin Cap archéo qui est un centre de découverte du patrimoine. Ce sont à chaque fois des lieux qui présentent toujours les mêmes profils aux visiteurs, le même type de médiation, sur les mêmes sujets.
Et puis peut-être pourrait-on aussi dire qu’un jour il y aura un espace permanent à Cap sciences dédié à l’expérimentation, à la manipulation scientifique, à la façon du Vaisseau à Strasbourg ou de l’une des salles de l’Espace des sciences à Rennes. On sent qu’il y a une demande des publics, des jeunes publics, qui veulent découvrir les sciences à travers des manips, mais c’est quelque chose qui n’était pas prévu à l’origine de Cap sciences, parce que d’autres acteurs sur le territoire aquitain proposent des ateliers d’expérimentation. Mais la demande est telle que l’on envisage de proposer nous aussi ce type d’activité.
- NB : Et cet espace, s’il est créé, s’adressera aux jeunes publics, comme pour Cap sciences juniors ou l’Atelier d’Arthur. Il y aurait donc un lien entre permanence et jeune public ?
- Bernard Favre : Oui, ça c’est un élément important. Le choix du type de proposition que l’on fait est très clairement indexé sur la segmentation que l’on fait du public. C’est vrai que le lieu de jeu ou de manipulation est très clairement destiné aux jeunes publics, tandis que le mode d’accès des adultes à la science c’est le rapport sciences / société et on est alors sur de l’exposition, et notamment de l’exposition temporaire.
- NB : Mais est-ce qu’en procédant par expositions temporaires on ne pourrait pas penser que des sujets, peut-être plus fondamentaux ou généraux de la science, ne sont pas traités ? Est-ce que vous avez des retours de visiteurs qui vous demandent pourquoi il n’y a pas, à Cap sciences, une exposition ou un segment d’exposition qui va expliquer ce que c’est que la chimie, ou les mathématiques, etc ?
- Bernard Favre : Non, il n’y a pas vraiment de retour de ce type, sauf du côté des enseignants, qui font pression pour que la programmation de Cap sciences soit indexée sur les programmes scolaires. Et la récurrence d’une année sur l’autre des thèmes abordés dans les programmes scolaires amènerait assez logiquement à proposer des expositions permanentes pour chaque niveau scolaire. Mais c’est une approche que nous avons refusée d’avoir pour que justement la découverte des sciences et la pratique de la culture scientifique ne soit pas ramenées à l’enseignement des sciences et ce qu’elle impose, c’est-à-dire l’obligation faite aux élèves et l’enfermement par discipline.
Le lieu de culture scientifique doit au contraire prendre les publics par la séduction, l’attraction, et c’est pour cela que le choix de la programmation repose sur un équilibre qu’on calcule sur plusieurs années de façon à varier les approches, les sujets et aussi la difficulté de chacun de ces sujets ou chacune de ces approches.
- NB : Et justement, certains sujets sont-ils plus adaptés à certaines formes de programmation ou d’exposition ? Allez-vous vous dire immédiatement que pour tel sujet c’est une exposition temporaire que vous allez faire, alors que pour tel autre ce sera une exposition virtuelle, ou un thème pour la Galerie industrie et recherche ?
- Bernard Favre : La logique de la programmation est la résultante de plusieurs facteurs. Nous avons différents lieux dans le bâtiment de Cap sciences et nous devons distribuer la programmation thématique, mais aussi veiller à satisfaire tous les types de publics. Les expositions de 600 mètres carrés dans le grand plateau d’exposition sont délibérément tous publics, mais avec des limites : quand on parle des nanotechnologies on sait qu’on va avoir des difficultés à parler des nanosciences à des enfants, donc on va utiliser les autres lieux de Cap sciences, et notamment le deuxième plateau d’exposition, pour des sujets davantage tournés vers eux.
Ensuite certains sujets sont plus ou moins adaptés à des types de médiation. Pour poursuivre avec les nanotechnologies, c’est un sujet qui se prête mal à l’expérimentation, aux manips, donc c’est un sujet que l’on va retrouver sous forme d’une grande exposition pour adolescents et adultes. Au contraire, d’autres sujets, comme la génétique, se prêtent bien à l’expérimentation directe, donc on pourra aussi bien les retrouver dans le grand plateau d’exposition que dans les autres lieux de Cap sciences, destinés davantage au jeune public.
Et au final le souci majeur est qu’à tout moment les publics les plus divers possible trouvent leur bonheur dans le bâtiment de Cap sciences.
- NB : Nous avons parlé de la programmation de Cap sciences en tant que lieu physique de visite, mais l’équipe de Cap sciences réalise aussi beaucoup de missions de rénovation ou de préfiguration de lieux de culture scientifique sur le territoire aquitain. Qu’est-ce qui change alors quand vous intervenez sur ces lieux d’exposition permanente ?
- Bernard Favre : Quand on intervient sur un lieu, qui peut être un phare, ou un domaine expérimental d’un centre de recherche comme l’Inra qui veut recevoir du public, ou bien un château dont il faut adapter le dispositif intérieur pour un circuit de visite… eh bien la problématique elle est triple.
Il y a une problématique marketing : quels types de publics vise-t-on, est-ce que l’offre est éducative, culturelle, touristique, etc. ? Et en fonction de ces réponses on va établir un schéma fonctionnel, ce qui veut dire développer une thématique ou des thématiques, mais aussi décrire tout le système de fonctionnement. Et c’est en fait, sur des lieux très spécifiques, la transposition de la méthode qui nous a conduits à la création de Cap sciences.
Après il y l’aspect muséologique, muséographique, scénographique, qui est en fait la réponse à la question « qu’est-ce qu’on veut à l’intérieur de ces lieux ? » et là on est vraiment dans la même démarche que celle de création d’une exposition, avec trois points importants : la conception d’un temps de parcours rythmé, avec des temps forts mais aussi des moments de repos ; le souci de s’assurer que le visiteur gardera un souvenir de sa visite, et ce n’est pas parce qu’on est dans le domaine des sciences que ce qui doit rester à la fin c’est un message didactique ; et puis l’ergonomie, puisqu’il faut que le parcours de visite soit parfaitement adapté à tous les publics.
Enfin, la troisième problématique c’est celle de l’économique, car lorsqu’on nous demande d’intervenir sur un lieu c’est que le lieu en question n’attire pas assez de visiteur, ou bien c’est un lieu complètement nouveau et les maîtres d’ouvrage sont inquiets de savoir quel modèle économique sera le plus adapté. On est dans une dimension qui n’a rien à voir avec l’exposition temporaire, mais qui est en fait lié à la nature d’entreprise ou de service de ces lieux sur lesquels nous intervenons.
- NB : Mais est-ce que le fait d’être sur du permanent influe sur le choix des thèmes, ou sur le choix des types de médiations ?
- Bernard Favre : Question essentielle ! Lorsqu’on travaille sur un lieu, un phare, un château, un parc naturel, etc., il y a une première question qui se pose qui est la recherche de l’esprit du lieu : « en quoi ce lieu peut avoir quelque chose d’attractif et de magique ? ». On prend un paysage, un territoire, un bâtiment et on se demande quel est l’esprit de ce lieu. Et ce qu’on va faire c’est construire un parcours, pour les visiteurs, qui rende compte de l’esprit, de la culture de ce lieu.
Si on prend l’exemple du phare. Un phare, on peut le présenter aux publics comme un lieu technique, ou bien on peut le présenter du point de vue esthétique comme le point haut du paysage, ou bien encore on va le présenter sous l’aspect architectural. Donc est-ce que c’est un objet technique, est-ce que c’est une architecture, est-ce que c’est un élément du paysage qui permet d’avoir un point de vue sur ce paysage… Finalement il faut déterminer la complexité de l’esprit du lieu, puis quels sont les éléments qui vont être immédiatement accessibles aux visiteurs, et aussi quels sont ceux qui vont demander un effort pour le public et que la muséographie va rendre accessible.
- NB : Donc la différence entre votre travail dans les murs de Cap sciences et à l’extérieur c’est ça. Tout à l’heure tu parlais de Cap sciences comme d’une boîte dont le contenu est périodiquement changé, alors que là on est sur des lieux qui ont un esprit particulier qui va commander ce qui sera montré aux visiteurs.
Oui, tout à fait.
- NB : Une dernière question, car ce n’est pas venu dans le fil de notre conversation… Dirais-tu qu’il est tout simplement pertinent de faire des expositions permanentes dans le domaine de la science, dans la mesure où la science est une activité dont les résultats et les connaissances ne sont pas nécessairement des éléments établis dans le temps long ?
- Bernard Favre : Je ne suis pas sûr de pouvoir faire une réponse générale sur cette question, car cela dépend beaucoup des sujets traités ou des disciplines. Je me rappelle une exposition sur la préhistoire où on pensait que les méthodes de l’archéologie comme les théories et les connaissances sur l’émergence et le parcours de l’occupation humaine de la planète étaient suffisamment fixes pour faire l’objet d’un discours arrêté à un instant « t ». Mais entre le moment où on a commencé la production de l’exposition et l’itinérance de cette exposition au bout de 2 ans-3 ans, ça a été impressionnant de voir l’évolution des connaissances sur l’émergence du langage par exemple, avec aussi des découvertes majeures au Moyen Orient sur l’homme de Neandertal, ou d’autres en Afrique aussi. Et lorsqu’on est en plus dans des domaines comme les neurosciences, alors là forcément on sait que l’exposition va être très vite dépassée sur le plan des connaissances. Donc pour ce qui est d’une exposition permanente, il faut travailler avec l’idée qu’il faudra revenir sur les présentations et les discours…
Mais il y a quelque chose de plus fondamentale derrière cette question, qui est que quand on conçoit une exposition permanente on va peut-être davantage présenter la science comme une somme de connaissances, alors que quand on réalise une exposition temporaire on a davantage de moyens pour présenter la science en train de se faire et non pas seulement comme des données acquises. C’est aussi l’image qu’ont les visiteurs de ces deux types d’exposition.
- NB : Je crois en avoir fini avec mes questions, mais as-tu le sentiment qu’on a manqué une problématique, un questionnement se rapportant à l’exposition permanente ?
- Bernard Favre : Oui, il y a un aspect particulier qu’on n’a pas abordé. On n’a pas prononcé le mot « patrimoine ». Pourtant la connaissance à un moment ça devient du patrimoine, et quand on fait une exposition sur la nourriture, sur les goûts, sur la gastronomie, on est quand même proche d’un concept qu’on commence à bien maîtriser et qui est celui du patrimoine immatériel.
Et d’autre part le regard scientifique sur le patrimoine c’est également quelque chose de très important. Car dans les expositions permanentes, au-delà du regard artistique, esthétique, architectural ou historique qu’on peut avoir sur un bâtiment, un lieu, un paysage, on peut aussi proposer aux publics une approche scientifique et technique. Et cet aspect intéresse beaucoup les publics : quels sont les métiers qui ont été mobilisés pour créer cet élement du paysage, comment on a construit ce bâtiment… Ce sont des questions qui me semble en plus assez faciles et accessibles, très populaires, plus en tout cas que l’approche par l’histoire de l’art ou de l’Histoire avec un grand « h ».
Et c’est aussi l’occasion de faire entrer dans la culture des gens qui ont peu de pratiques culturelles. Par exemple on a fait une exposition avec les compagnons du devoir du tour de France, les compagnons ébénistes et menuisiers, qui a donné un regard aux publics très différent du regard habituel sur l’évolution du meuble. On peut voir cette exposition, en partie, au Palais de la découverte et au Musée des arts et métiers, elle s’appelle « Du cœur à l’ouvrage », et vraiment on aurait pu traiter l’histoire du meuble à travers l’esthétique, à travers l’histoire du mobilier, mais là on l’a traité à travers ses aspects techniques, ses métiers et leurs évolutions.
Je crois vraiment que c’est un regard à proposer aussi dans les expositions permanentes, où on oublie souvent la dimension technique voire industrielle des lieux qu’on ouvre à la visite, alors qu’ils sont pourtant des lieux patrimoniaux, qu’il s’agisse de bâtiments ou de paysages ! Alors c’est vrai qu’on n’est pas dans la science, on est plutôt dans la technique et l’industrie, mais par rapport à nos missions de Centre de culture scientifique, technique et industrielle ça me semble une voie à explorer encore beaucoup plus qu’on ne le fait aujourd’hui.
Entretien réalisé par téléphone le 22 juillet 2009